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Van Gogh écrivain : St-Rémy - 5. janv./févr. 1890

 

CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

 

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Vincent Van Gogh –  Oliviers, ciel orangé, nov. 1889, Goteborgs Konstmuseum

 

       Son art me troublait, par son audace et par sa violence. Il m'impressionnait, me donnait de la terreur, presque, comme la vue d'un fou. Et je crois bien qu'il y avait de la folie éparse en ses toiles. C'étaient des arbres, dans le soleil couchant, avec des branches tordues et rouges comme des flammes ; ou bien d'étranges nuits, des plaines invisibles, des silhouettes échevelées et vagabondes, sous des tournoiements d'étoiles, les danses de lune ivre et blafarde qui faisaient ressembler le ciel aux salles en clameurs d'un bastringue.

 

                                                       Octave Mirbeau – Dans le ciel, Roman, chapitre 15, 1893

 

      Le 22 décembre1889, Théo avait écrit à Vincent : « Pissarro n’a jusqu’à présent pas vu ce Mr d’Auvers * ;  au moins il n’écrit rien à ce sujet. Ce qu’il y aura de mieux sera que tu viennes chez nous au printemps et que tu ailles toi-même voir si à la campagne tu puisses trouver une pension qui te convient. Nous devons toujours être content que, depuis l’année dernière à cette époque, tu ailles beaucoup mieux. Je craignais alors que tu ne guérirais pas ».

 * le docteur Gachet

       Cet optimisme n’était pas justifié puisque, à l’époque où cette lettre parvenait à Vincent, celui-ci avait eu une nouvelle crise, moins grave cependant que celle subit durant l’été.

  

Lettre à Théo – vers le 1er janvier 1890

 

Mon cher frère,

D’abord je te souhaite à toi et à Jo une heureuse année et regrette de t’avoir peut-être, bien involontairement néanmoins, causé de l’inquiétude, car M. Peyron a dû t’écrire, que j’ai encore une fois eu la tête bien dérangée.

[…]

Drôle que j’avais travaillé avec un calme parfait à des toiles que tu verras bientôt et que tout à coup, sans raison aucune, l’égarement m’a encore repris.

[…]

Je ne sais ce que va me conseiller M. Peyron, mais tout en tenant compte de ce qu’il me dira, je crois que lui, moins que jamais, osera se prononcer sur la possibilité pour moi de vivre comme auparavant. Il est à craindre que ces crises reviendront.

Mais ce n’est pas du tout une raison pour ne pas essayer un peu de se distraire. Car l’entassement de tous ces aliénés dans ce vieux cloître, cela devient je crois une chose dangereuse où l’on risque de perdre tout ce qu’on pourrait encore avoir gardé de bon sens. Non pas que j’y tienne à ceci ou à cela de préférence, je me suis habitué à l’existence ici, mais faudra pas oublier d’essayer un peu le contraire. Quoi qu’il en soit tu vois que je t’écris avec un calme relatif.

[…]

Ah, pendant que j’étais malade il tombait de la neige humide et fondante, je me suis levé la nuit pour regarder le paysage. Jamais la nature ne m’a paru si touchante et si sensitive.

Les idées relativement superstitieuses qu’on a ici sur la peinture, me rendent mélancolique plus que je ne saurais te dire parfois, parce que c’est toujours au fond un peu vrai qu’un peintre comme homme est trop absorbé par ce que voient ses yeux et ne maîtrise pas assez le reste de sa vie.

 

Lettre à Willemien – vers le 20 janvier 1890

 

A présent, mieux que dans le commencement, je vois la vraie campagne de Provence, et c’est tellement, tellement la même chose que chez nous dans les gens alors que cela se manifeste tout autrement, alors que la culture et les travaux des champs sont pas les mêmes que dans nos bruyères et champs du nord. Je pense beaucoup à la Hollande et à notre jeunesse d’autrefois – précisément parce que ici je me sens bien en pleine campagne. Pourtant je me fais vieux, tu sais, et la vie me parait passer plus vite, et plus sérieuses les responsabilités, plus critique la question de travailler pour rattraper le temps perdu, la journée plus difficile à faire et l’avenir plus mystérieux et ma foi encore un peu plus sombre.

 

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 Vincent Van Gogh –  Oliviers, déc. 1889, Van Gogh Museum, Amsterdam

 

 

     En janvier, avec de nombreux peintres avant-gardistes, Vincent participe à l’exposition des Vingt à Bruxelles.

      Le 22 janvier, Théo écrit à Vincent : « Dans un journal je lisais que les toiles qui excitent le plus la curiosité sont : les études de plein air de Cézanne, les paysage de Sisley, les symphonies de Van Gogh et les oeuvres de Renoir. Je crois que nous pouvons attendre avec patience jusqu’à ce que le succès vienne : tu le verras sûrement. Il faut se faire connaître sans vouloir s’imposer et cela viendra tout seul par tes beaux travaux. "     

      Le 31 janvier, Vincent reçoit la grande nouvelle : « Mon cher frère, le mauvais moment pour Jo est passé. Elle a mis au monde un beau garçon qui crie beaucoup, mais qui a l’air d’être bien portant. Comme nous te l’avions dit nous l’appèlerons comme toi et je fais le voeux qu’il puisse être aussi persévérant et aussi courageux que toi.  

 

Lettre à Jo – vers le 31 janvier 1890

 

Je suis très touché que vous m’écriviez, et si calmement, si maîtresse de vous, pendant une de vos nuits pénibles. Combien je suis désireux d’apprendre que vous êtes sortie de là saine et sauve, et que votre enfant est vivant. Comme Théo sera heureux, lui aussi, quant il vous verra rétablie. Ce sera comme si un petit soleil se levait en lui.

 

Lettre à Théo – vers le 1er février 1890

 

J’ai été extrêmement surpris de l’article sur mes tableaux que tu m’as envoyé. *  Pas besoin de te dire que j’espère continuer à penser que je ne peins pas comme cela, mais j’y vois plutôt comment je devrais peindre. Car l’article est fort juste dans ce sens qu’il indique la lacune à remplir, et je crois qu’au fond l’écrivain l’écrit plutôt pour nous guider, non seulement moi mais les autres impressionnistes également, et même plutôt à faire la brèche au bon endroit. Il propose donc un moi collectif, idéal aux autres tout autant qu’à moi, il me dit simplement que ça et là il y a du bon, si tu veux, aussi dans mon travail, si imparfait, et là est le côté consolant que j’apprécie.

[…]

Mais volontiers je suis fort reconnaissant de l’article ou plutôt « le coeur à l’aise » comme dans la chanson de la Revue, puisque on peut en avoir besoin comme on peut avoir vraiment besoin d’une médaille. Puis un article comme cela a son mérite propre d’oeuvre d’art critique, comme quoi je le trouve à respecter, et l’écrivain doit monter les tons, synthétiser ses conclusions, etc.

Puisse Jo demeurer longtemps pour nous tous ce qu’elle est. Maintenant pour le petit, pourquoi donc ne l’appelez-vous pas Théo en mémoire de notre père, à moi certes cela me ferait tant de plaisir.

 * Article élogieux d’Albert Aurier dans Le Mercure de France de janvier 1890 : « Les isolés : Vincent Van Gogh »

 

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Vincent Van Gogh –  Repos après le travail (d’après Millet), janv. 1890, Musée d’Orsay, Paris

 

Lettre à Albert Aurier – vers le 10 février 1890

 

      Vincent répond à Albert Aurier pour le remercier du long article qu’il lui a consacré dans Le Mercure de France :

 

Cher Monsieur Aurier,

Merci beaucoup de votre article dans le Mercure de France, lequel m’a beaucoup surpris. Je l’aime beaucoup comme oeuvre d’art en soi, je trouve que vous faites de la couleur avec vos paroles ; enfin dans votre article je retrouve mes toiles mais meilleures qu’elles ne le sont en réalité, plus riches, plus significatives. Pourtant je me sens mal à l’aise lorsque je songe que plutôt qu’à moi ce que vous dites reviendrait à d’autres. Par exemple à Monticelli surtout. [...] Ensuite je dois beaucoup à Paul Gauguin avec lequel j’ai travaillé durant quelques mois à Arles et que d’ailleurs je connaissais déjà à Paris.

[…]

Au prochain envoi que je ferai à mon frère j’ajouterai une étude de cyprès pour vous si peinture,van gogh,saint-rémyvous voulez bien me faire le plaisir de l’accepter en souvenir de votre article. J’y travaille encore dans ce moment, désirant y mettre une figurine.

Le cyprès est si caractéristique au paysage de Provence. Jusqu’à présent je n’ai pas pu les faire comme je le sens ; les émotions qui me prennent devant la nature vont chez moi jusqu’à l’évanouissement et alors il en résulte une quinzaine de jours pendant lesquels je suis incapable de travailler. Pourtant, avant de partir d’ici, je compte encore une fois revenir à la charge pour attaquer les cyprès. L’étude que je vous ai destinée en représente un groupe au coin d’un champ de blé par une journée de mistral d’été. C’est donc la note d’un certain noir enveloppé dans du bleu mouvant par le grand air qui circule, et, opposition faite à la note noire, le vermillon des coquelicots.

 

 

 

 

   

Vincent Van Gogh – Cyprès avec deux figures de femmes, juin 1889, Kröller-Müller Museum, Otterlo

 

Lettre à sa mère Anna – vers le 19 février 1890

 

J’aurais bien préféré que Théo est donné à son fils le nom de Pa, à qui j’ai tant pensé ces jours-ci, plutôt que le mien. Mais enfin maintenant que c’est fait, je me suis mis tout de suite à faire un tableau pour lui, une toile à suspendre dans leur chambre à coucher : quelques grosses branches fleuries d’amandier blanc sur un fond de ciel bleu. Les amandiers commencent partout à fleurir.

J’ai encore été très surpris de lire cet article qu’on a écrit sur moi. J’ai été peiné quand je l’ai lu ; c’est tellement exagéré.

Je dois avouer toutefois, que, plus tard, quand ma surprise fut un peu dissipée, je me suis senti par moments tout réconforté ; à cela est venu s’ajouter que Théo m’a annoncé hier qu’on a vendu une de mes toiles à Bruxelles, pour 400 francs.*

* La Vigne rouge, le seul tableau vendu par Van Gogh

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Vincent Van Gogh – Amandier fleuri, février 1890, Van Gogh Museum, Amsterdam

 

Lettre à Willemien – vers le 19 février 1890

 

Quand j’ai lu l’article d’Aurier  j’en devenais presque triste juste en pensant : faudrait être comme cela et je me sens si inférieur. Et l’orgueil grise comme la boisson, quand on est loué et qu’on a bu on devient triste.

Ah Millet ! Millet! Celui-là comme il a peint l’humanité et le « quelque chose là-haut » peinture,van gogh,saint-rémyfamilier et pourtant solennel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Vincent Van Gogh – La charrue et la herse (d’après Millet), janv. 1890, Van Gogh Museum, Amsterdam

 

Se dire de nos jours que celui là s’est mis à peindre en pleurant, que Giotto, qu’Angelico peignaient à genoux, Delacroix si navré, si ému.... presque en souriant. Qui sommes nous impressionnistes pour faire déjà comme eux, salis dans la lutte pour la vie : « qui rendra à l’âme ce qu’en ont enlevé le souffle des révolutions », voila le cri d’un poète de l’autre génération qui sembla pressentir nos faiblesses, nos maladies, nos égarements actuels. Et je le dis souvent, sommes nous aussi neufs que le vieux Belge Henri Conscience : Ah c’est pourquoi j’étais content du succès de Bruxelles à cause de cette Campine d’Anvers * que je cherche parfois encore à rappeler dans les sillons calmes des champs, tout en m’en sentant devenir un enfant bien dégénéré.

Songeant ainsi, mais bien lointain, me vient le désir de me refaire et de chercher à me faire excuser de ce que mes tableaux sont pourtant presque un cri d’angoisse, tout en symbolisant dans le rustique tournesol la gratitude.

Tu vois que je ne raisonne pas encore bien – il vaut mieux savoir calculer ce que vaut une livre de pain et un quart de café comme le savent les paysans. – Et nous y revoilà. Millet donnait l’exemple en vivant dans une chaumière, en restant bien avec les gens sans nos écarts d’orgueil, d’excentricité.

* « la Campine » est une région du nord de la Belgique

 

 

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Vincent Van Gogh –  Les premiers pas (d’après Millet), janv. 1890, The Metropolitan Museum of Art, New York

 

 

  

Commentaires

  • Que voilà encore dans ces lettres des passages qui m'émeuvent à plus d'un titre ...

    * Celui-ci qui me fait inévitablement penser à Rimbaud et à son poème "Voyelles" datant de 1871 : "Je trouve que vous faites de la couleur avec vos paroles."

    * Celui-là, plus sombre, clinique : "Les émotions qui me prennent devant la nature vont chez moi jusqu'à l'évanouissement."

    * Et enfin ce dernier, lourd d'un passé prégnant, et pourtant si bellement exprimé : " ... chercher à me faire excuser de ce que mes tableaux sont pourtant presque un cri d'angoisse, tout en symbolisant dans le rustique tournesol la gratitude."

  • Effectivement, la phrase que Van Gogh adresse à Albert Aurier aurait aussi bien pu s’appliquer au poème « Voyelles » de Rimbaud. Vincent reste humble car, plutôt que de se satisfaire de l’article élogieux le concernant, cela le rend triste en pensant : « faudrait être comme cela et je me sens si inférieur ». L’artiste est le journaliste mais pas lui-même…
    Vincent ressent devant cette nature qu’il ne cesse de peindre, des émotions pouvant aller jusqu’à l’évanouissement… Cela démontre l’être sensible qu’il était.
    Etonnante confrontation entre angoisse et gratitude. L’artiste s’excuse de ne pas être au niveau des anciens et l’explique par le fait que ses toiles sont des cris : un cri exprimant sa propre angoisse, puis un cri de gratitude devant une simple fleur de tournesol. Une bien jolie phrase. Avait-il compris que la plupart des artistes éprouvent ces sentiments ?

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