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Gustave Courbet, le maître d'Ornans : 2. 21 mars 1847/30 oct. 1849

CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

 

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Gustave Courbet – Autoportrait dit Le fou de peur, 1843, Musée National, Oslo 

 

     La toile exposée à nos regards, traitée avec un sans-façon rustique, comme le sujet, attestait une insouciance de maître, une ardeur expérimentée ; la tonalité profonde du tableau, le procédé de l’exécutant, ne rappelaient aucune école connue.  « Avec un don si rare et si merveilleux, dis-je à ce jeune homme, comment n’êtes-vous pas encore célèbre ? ». « Pardié, répliqua-t-il avec un accent franc-comtois tout champêtre ; moi je peins comme le bon dieu ».

    Voilà les premiers mots dont m’a favorisé Gustave Courbet. Il avait, en deux mots, défini son procédé. Cette toile qui illustra ses débuts c’était l’Après-dînée à Ornans.

     Delacroix que je trouvai là me dit : « Avez-vous jamais vu de pareil ni d’aussi fort sans relever de personne ? Voilà un novateur, un révolutionnaire, aussi, il éclot tout à coup sans précédent : c’est un inconnu ! ».

 

                                                 Extraits des mémoires de francis Wey - BNF

 

Lettre à son père – Paris, vers le 21 mars 1847

 

     Courbet ne cesse d’en vouloir au jury de ce Salon qui refuse la plupart de ses toiles. Il est malheureusement obligé d’exposer pour faire connaître son travail.

 

J’ai été refusé complètement de mes trois tableaux. J’ai comme d’habitude des compagnons d’infortune des plus célèbres. […] C’est un parti pris de ces messieurs du jury, ils refusent tous ceux qui ne sont pas de leur école, si ce n’est un ou deux contre lesquels ils ne peuvent plus lutter – MM. Delacroix, Decamps, Diaz – mais tous ceux qui ne sont pas aussi connus du public sont renvoyés sans réplique. Cela ne me contrarie pas le mois du monde au point de vue de leur jugement, mais pour se faire connaître il faut exposer et malheureusement il n’y a que cette exposition-là. Les années passées lorsque j’avais moins une manière à moi, que je faisais encore un peu comme eux, ils me recevaient, mais aujourd’hui que je suis devenu moi-même, il ne faut plus que je l’espère.

On se remue plus que jamais pour détruire ce pouvoir-là.

 

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  Gustave Courbet – Autoportrait en violoncelliste, 1847, Musée National, Stockholm

     Le "Violoncelliste" faisait partie des trois tableaux refusés cette année là.

 

 

Lettre à ses parents – Paris, vers le 26 juin 1848

 

      Courbet s’est fait de nouveaux amis à Paris, les anciens de Franche-Comté, et puis des nouveaux comme l’écrivain Champfleury qui deviendra son « faire savoir ». Il se lie au poète Baudelaire qui l’impressionne, écume les brasseries, la brasserie Andler surtout proche de la maison natale de Baudelaire. Installé dans son élément, il parle fort, est écouté, et s’impose.

  

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 Gustave Courbet – Portrait de Baudelaire, 1848, Musée Fabre, Montpellier

 

       Lorsque la révolte antiroyaliste de juin 1848 éclate, ils se précipitent tous pour contempler l’accouchement sanglant de la seconde République élue depuis le 24 février 1848. Cette insurrection fait suite à la dissolution des ateliers nationaux par le gouvernement.

     Courbet est républicain, sans excès. Ses amis se font arrêter, lui n’est pas inquiété et retourne à ses pinceaux.

 

Nous sommes dans une guerre civile terrible, tout cela faute de bien s'entendre et par incertitude. Les insurgés se battent comme des lions car ils sont fusillés quand ils sont pris. Ils ont déjà fait le plus grand mal à la Garde nationale. Les provinces environnant Paris arrivent à chaque heure. Le succès n’est pas douteux car ils ne sont pas en nombre. Jusqu'ici la fusillade et le canon n'a pas arrêté une minute. C'est le spectacle le plus désolant qu'il soit possible d'imaginer. Je crois qu'il ne s'est jamais rien passé en France de semblable, pas même la Saint-Barthélemy.Tous ceux qui ne se battent pas ne peuvent sortir de chez eux car on les y ramène. La Garde nationale et la banlieue gardent toutes les rues. Je ne me bats pas pour deux raisons : d'abord parce que je n'ai pas foi dans la guerre au fusil et au canon et que ce n'est pas dans mes principes. Voila dix ans que je fais la guerre de l'intelligence, je ne serais pas conséquent avec moi-même si j’agissais autrement. La seconde raison c'est que je n'ai pas d'armes et ne puis être tenté. Ainsi, vous n’avez rien à craindre pour mon compte. Je vous écrirai dans quelques jours peut-être plus longuement. Je ne sais pas si cette lettre sortira de Paris. Je vous embrasse tous.

 

 

Lettre à son père– Paris, vers le 17 juin 1849

 

     Louis Napoléon Bonaparte a été élu Président de la République en décembre 1848. Sa politique conservatrice et catholique ne se fait pas sans heurts.

     Courbet s’enflamme à nouveau.

 

Mon cher Père,

La Constitution a été violée du haut en bas, la Garde nationale a pris les faits en main. Mais si les gardes nationaux sont de fameux guerriers […], la troupe occupe tout Paris. La position est prise, de suite il est entré 30 000 mille hommes nouveaux dans Paris par diverses barrières. L'insolence de la réaction est à son comble.

On annonçait hier soir que nous aurions un empereur ce matin. Nous sommes en état de siège. […] Hier on a fait des barricades, on a recommencé encore ce matin. Si le peuple s'en mêle ce ne sera pas pour rire. Sauf deux ou trois légions, toute la Garde nationale est pour la constitution. M. Napoléon, qui n'est pas encore empereur, se promenait a cheval sur les boulevards en saluant d'un air de protection. Il n'a pas encore reçu un seul coup de fusil, c'est encore plus malheureux.

Pour moi, dans ces choses-là je me bats en parole tant qu’on veut. Toutes ces sottises-là ne nous arrangent pas trop, nous autres peintres. Notre exposition s’ouvrait vendredi.

 

  

     La nouvelle République, pour une fois, a ouvert les portes du Salon de 1849 sans tri et Courbet obtient donc, facilement, une médaille d’or avec sa toile « Une après-dînée à Ornans ».Il s’agit d’un grand tableau en clair-obscur, assez classique dans sa technique et son sujet campagnard dont la seule provocation est sa taille : 2,50 m X 2 m. Cette toile clôt la période de jeunesse du peintre et inaugure toute une série d’immenses tableaux à venir à partir des années 1850 que Michel Fried intitule « les toiles de la percée » qui assureront la renommée de l’artiste.

 

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   Gustave Courbet – Une après-dînée à Ornans, 1849, musée des beaux-arts, Lille

 

 

Lettre à Francis (ami écrivain) et Marie Wey – Ornans, vers le 30 octobre 1849

 

     L’actualité politique troublée se soucie peu de peinture. 

     L’atmosphère parisienne ne convenant plus à Courbet, il décide de tenter un coup.

     Après la médaille d’or obtenue au Salon avec son « Une après-dînée à Ornans » et l’achat de sa toile par l’Etat, il annonce à ses amis parisiens que désormais il est devenu le « maître d’Ornans ». Il parcourt à pied les 25 kilomètres séparant Besançon d’Ornans. Les amis d’Ornans, prévenus, viennent à sa rencontre et on l’accueille dans le village dans la liesse, avec fanfare, banquet, discours. C’est le retour du fils prodigue, l’artiste qui triomphe à Paris.

 

Chers amis,

Je suis un peu comme le serpent, la torpeur m'est très familière. Dans cette sorte de béatitude on pense si bien ! Puis il est si doux de penser aux gens qu'on aime sans avoir besoin de leur dire.

Quand je suis rentré à Ornans, ma ville natale, j'arrivais à pied de Besançon. Mes amis étaient venus sur la route à ma rencontre. Ils dînaient tous chez nous et voilà qu'au dessert Promayet sort, ses musiciens répétaient encore à la mairie, alors ils vinrent me donner une sérénade, suivis d'une grande partie de la population. Promayet, qui était chef d'orchestre, m'avait ménagé une surprise : il avait arrangé mes romances en symphonie qu'ils exécutaient fort agréablement. Je vous tiens quittes de mon allocution. Je les invitai à venir boire ; voila notre maison pleine. Il me fallut leur chanter mes romances, puis on dansa jusqu’à 5 heures du matin. Je vous laisse à penser si je dus embrasser du monde et recevoir des compliments dans toute la ville.

Enfin, il paraît que j'ai bien honoré la ville d'Ornans.

 

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 Gustave Courbet – Les amants dans la campagne, sentiment du jeune âge, 1844, musée des Beaux-Arts, Lyon 

 

     La jolie fille qui s’appuie contre Courbet serait Virginie Binet, la seule femme avec laquelle il entretint une liaison durable. Elle lui donna un fils, né en 1847.

      Il s’agit de l’une des œuvres les plus romantiques et poétiques de l’artiste.

 

 

 

Commentaires

  • De belles idées, chez Courbet, en ces temps plus que troubles !

    Avec beaucoup de respect, je retiendrai deux phrases qui s'inscrivent toutes deux dans un même état d'esprit :

    * "Voilà dix ans que je fais la guerre de l'intelligence."

    * "... dans ces choses-là, je me bats en parole tant qu'on veut."

    Merci Alain d'avoir judicieusement choisi des lettres dans lesquelles apparaissent ces réflexions frappées au coin du bon sens.

  • Oui, de belles idées. Courbet devait avoir un bon sens terrien lié à ses origines. On le verra dans ses prochains tableaux. Il s’intéressait à la politique et se battra souvent en parole, plus autour d’une chope de bière que sur le terrain. D’ailleurs il dit : « Toutes ces sottises-là ne nous arrangent pas trop, nous autres peintres ». Il avait trop à faire, afin de tenter de glorifier sa peinture, à combattre les membres du jury du salon officiel qui dénigraient ses toiles.

  • Je ne manquerai pas le musée si j'ai l'occasion de passer dans cette région.
    Bonne journée

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