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Je sais poser, monsieur Monet, je m’appelle Camille…

 

MONET Claude - Déjeuner sur l’herbe, 1865, musée d'Orsay, Paris

 

 

     Il fait chaud en cet été 1865. Claude Monet est installé à l’ombre des feuillages en lisière de la forêt de Fontainebleau, à Chailly non loin du petit village de Barbizon. Un ruban de ciel éclaire le chemin en diagonal, lui donnant une sensation de profondeur. L’artiste étudie le contraste offert par les verts et bruns des arbres que cette coulée de lumière azurée renforce.

     Il la voit arriver de loin. Elle s’avance vers lui sans hésiter.

     - Vous êtes monsieur Monet ? Un de vos amis de l’atelier Gleyre m’a fait savoir que vous cherchiez un modèle pour un tableau de plein air. « Avec ce beau temps, allez au pavé de Chailly, il y sera, m’a-t-il dit ! »

     - Vous êtes modèle ?

    - Oui, monsieur ! Je suis arrivée récemment de Lyon avec ma famille. Mon physique plait aux peintres… Et puis j’aime ça !

     La jeune femme se tourne vers la toile que l’artiste peint.

     - C’est beau ce que vous faites ! Moins sombre que vos amis. Quelle clarté !

     Elle parlait d’une petite voie d’adolescente. Pendant qu’elle examinait le tableau, le regard de Claude Monet s’attardait sur elle. Elle était ravissante avec ses cheveux bruns relevés en chignon, la taille bien prise, un nez droit planté dans un visage à l’ovale parfait et une bouche fine qui s’ourlait discrètement de carmin. Charmante, pensa-t-il !

     - Je cherche des modèles pour un projet de composition à plusieurs personnages grandeur nature pique-niquant dans la forêt. L’esquisse de la toile est bien entamée mais il me manque un personnage féminin. Je souhaite m’inscrire pour le Salon en mars de l’année prochaine… mais je crois que j’ai vu trop grand… J’en deviens fou !

     Cheveux longs tirés en arrière, le peintre approchait de ses 25 ans. La demoiselle lui paraissait bien jeune. Il remballa son matériel.

     - Si vous êtes libre demain matin, venez à l’atelier que je partage avec mon ami peintre Frédéric Bazille, rue Fürstenberg à Paris. Nous ferons quelques essais de pose.

     - Je viendrai. Je serais heureuse d’être votre modèle monsieur Monet. Je n’ai que 18 ans mais je sais poser. Je m’appelle Camille.

     Monet trouvait les yeux de la jeune fille magnifiques. Ceux-ci s’éclairaient de reflets verts dorés lorsque le soleil s’y mirait. 

 

     Pour Camille, les séances de pose allaient commencer dans les jours qui suivirent leur première encontre.

     Monet travaillait pour le Déjeuner sur l’herbe, une œuvre immense de 27 m2. Les amis de l’atelier Gleyre, Renoir et Sisley, ne souhaitant pas servir de modèle, le grand Bazille parti en province fut sommé d’accourir par Monet afin de poser pour certaines figures.

 

 

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Claude Monet – Déjeuner sur l’herbe, fragment central, 1865, musée d’Orsay, Paris

 

     Courbet venu voir le travail émit, comme toujours, quelques critiques : « Cela manque de peinture,monet,impressionnisme,camillenus, mon ami. Copiez le scandaleux Manet ! ». Néanmoins, il propose de poser : « Je serai le personnage de gauche avec une moustache en pointe, dit-il avec son fort accent franc-comtois ».

     Boudin, grand ami du peintre, de passage, est admiratif en voyant l'importance de l'œuvre et s’exclame : « Cette énorme tartine va te coûter les yeux de la tête ! ».

     Camille est représentée plusieurs fois au côté de la haute silhouette déhanchée de Frédéric Bazille en chapeau melon qui remplit toute la hauteur de la composition : dans la partie centrale de la toile, elle est la femme en robe de toile bleue cachant son visage par un mouvement des bras pour retirer son chapeau. A gauche de la toile, elle pose en robe mexicaine grise à ceinture rouge, jupons et festons assortis.

 

 

 

 

 

 

 

 

Claude Monet – Déjeuner sur l’herbe, fragment de gauche, 1865, musée d’Orsay, Paris

 

     Monet, satisfait de son nouveau modèle, la peint également dans une étude plus petite en robe grise ornée de broderies noires, coiffée d’un chapeau de la même teinte que la robe.

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Claude Monet – Les promeneurs, 1865, National Gallery of Art, Washington

 

 

     Le tableau, par ses effets lumineux nouveaux, l’utilisation de couleurs pures, est un enchantement pour l’œil. Malheureusement, le projet est trop imposant et la date d’inscription au Salon de 1866 trop proche pour être prêt dans les délais. A contrecoeur, au début de l’année, l’artiste renonce à terminer la toile.

    L’allure et la grâce de son nouveau modèle, Camille, lui ont plu. Il souhaite présenter au salon un portrait de femme élégante et demande l’aide de la jeune femme, ce qu’elle accepte dans un sourire.

     Elle apprécie la peinture de ce jeune artiste. Et sa présence…

 

 

Commentaires

  • Quel challenge ce tableau de 27m2! mais Claude Monet était encore très jeune et pouvait le réaliser mais s'il doute de sa présence au Salon de 1866, il a la certitude que la présence de Camille est indispensable car il la trouve à son goût et pas seulement celui de peintre!!Un bel amour est sous roche, on dirait! Bisous Fan

  • J'aime bien Camille, au point d'avoir été sur sa tombe dramatiquement délaissée à Vétheuil, alors que celle de Monet à Giverny, non loin, est souvent fleurie.
    Elle est une sorte de muse pour l'artiste qui la représente dans toutes les positions. Sauf nue... Je n'ai pas vu de tableau la montrant ainsi.
    Le tableau était effectivement un peu grand. Courbet, pour se faire remarquer, peignait encore plus grand. Il suffit de voir l'immense "Enterrement à Ornans" à Orsay.
    Bonne journée Fan

  • Puisque plus personne ne s'occupe de sa petite tombe à Vétheuil, je permets à Camille d'exister encore un peu.

  • Quelle belle rencontre, et quel beau texte ! Mais pourquoi faut-il toujours que Camille meure, à la fin ? Je ne peux jamais l'oublier.

  • C’est une idée fixe, Carole ! Je maintiens que Camille est plus vivante que jamais à la sortie de ce texte. Elle a 19 ans, jeune, fraîche, jolie, et Monet est sur le point de craquer en voyant son nouveau modèle. Elle ne peut mourir ou… bien plus tard.
    Personne ne me parle du tableau ? Lorsque, à Orsay, je vois les fragments restants de ce premier paysage d’envergure du peintre, je ne peux m’empêcher de faire la reconstitution mentale de l’ensemble. La qualité lumineuse de ces pièces découpées est exceptionnelle : touches divisée, transparence des ombres, touches de lumières savamment réparties. Pourquoi est-ce-que mon regard s’attarde toujours sur le bleu posé d’un trait vif sur les épaules des deux hommes ? Peint deux ans après le scandaleux «Déjeuner sur l’herbe » de Manet, je pense que, terminée, cette peinture de Monet est la première qui montre les grandes forces de l’impressionnisme naissant.
    Bonne journée, Carole.

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