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Gustave Courbet, le maître d'Ornans : 9. Juin 1862/août 1864

 

CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

 

 

 

     « La nature a doué ce jeune homme des dons les plus rares ! Né avec des qualités que tant d’autres acquièrent si rarement ; il les possède épanouies dès son premier coup de pinceau ; ce prélude jette avec une sorte de bravade une œuvre magistrale sur les points les plus difficiles : le reste qui est l’art, échappe absolument. Il n’a rien donné de lui-même et il avait tout reçu ! Quelles valeurs perdues ! Quels dons sacrifiés ! »

 

Jean-Auguste-Dominique Ingres - Artiste peintre         

 

 

     L’opinion d’Ingres sur Courbet semble sans appel. Pourtant, je soupçonne Courbet de s’être inspiré d’Ingres pour peindre « La Source » ci-dessous, dans un style qui rappelle le maître. Une façon ironique utilisée par Courbet pour montrer qu’il peut, lui-aussi, peindre avec élégance ?

 

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Gustave Courbet – La Source, 1862,  The Metropolitan Museum of Art, New York

 

Lettre à Léontine Renaude  – Saintes, vers juin 1862

 

     Curieuse lettre qui paraît avoir plongé Courbet dans un grand embarrât. Cette Léontine, une grisette qui le trompait, semble avoir été une actrice peut-être liée au théâtre des Variétés à Paris.

  

 

[…] Madame, Si vous avez crû me rendre jaloux, je vous jure que vous vous êtes trompée… Avec vous je savais bien que j’étais au bordel et dans ces cas-là on ne peut jamais savoir après qui on passe. C’est ainsi qu’un soir en rentrant chez vous l’édredon était par terre au milieu de la chambre, on avait marché dessus, le lit était froissé et découvert, il y avait eu une passe dans la journée. Un autre soir j’avais froid à la tête ; vous me donnez le foulard, je ne peux plus le mettre ; celui qui avait couché la nuit précédente avait une tête plus petite que la mienne et l’avait rétréci de cinq ou six points.

Je n’ai jamais avec vous été jaloux que de ma dignité personnelle et je la sauvais par tous les moyens que je pouvais parce que j’ai eu la sottise de vous aimer comme un honnête homme fait pour une femme quelconque quand il la fréquente. C’est pour cela qu’il m’a fallu un an pour me convaincre malgré moi que vous étiez dans un état d’abjection.

Je ne sais comment faire pour rattraper différents objets de moi qui sont chez vous et qui peuvent établir pour le public que vous recevez que j’ai eu des relations intimes avec vous. Je vous offre de les acheter. Faites-les estimer ou estimez-les vous-même. Je tiens surtout aux deux portraits, le vôtre et celui de votre chien.

 

       Il semble que Courbet fait, dans la dernière phrase de cette lettre, allusion à "La femme nue au chien". 

 

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Gustave Courbet – Femme nue au chien, 1862, musée d’Orsay, Paris

 

 

Lettre à Albert de la Fizelière – Saintes, le 23 avril 1863

  

     Courbet envoie au Salon de 1863 un tableau montrant des curés éméchés revenant d’une conférence. Il sera refusé pour outrage à la morale religieuse. L’artiste le considère comme une « bombe » : « J’espère qu’on n’a pas encore vu un tableau de cette audace-là » ; « On m’accuse d’immoralité. Cependant on autorise les lithographies représentant de gros curés à cheval, emmenant en croupe des filles dont la robe se retrousse jusqu’au-dessus des jarretières ».

 

 

[…] J’avais voulu savoir le degré de liberté que nous accorde notre temps. J’avais envoyé un tableau de curés, bien senti : le Retour de la conférence. Ca correspondait pas mal avec l’insulte que l’empereur m’a faite l’an passé (le refus de la Légion d’honneur), d’autre part avec ce qui se passe vis à vis des cléricaux (politique romaine de Napoléon III).

Le tableau a porté juste, est allé droit à son auteur. Il a été dépendu et rependu trois ou quatre fois. J’avais fait le tableau pour qu’il soit refusé. J’ai réussi. C’est comme cela qu’il me rapportera de l’argent. Pourtant, considérant l’effroi qu’il produit, il serait comique de forcer la main à l’administration.

 

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Reproduction du tableau détruit  de Gustave Courbet « Le retour de la conférence », 1863

 

 

 

Lettre à Champfleury – Paris, mi-juin 1863

 

     Courbet, ulcéré, répond à un courrier que lui a adressé Champfleury accusant l’artiste d’avoir un style lâche, et des parties à la fois grossières et faibles. Il lui reproche également de parler trop, ne plus peindre et de se laisser corrompre par le gouvernement.

 

[…] Mon cher, je ne veux pas prendre le ton magistral, doctoral, que vous prenez dans votre lettre, et pourtant il me semble que j’aurais le champ libre si je voulais.

Votre lettre est entièrement inadmissible, et décèle au fond un homme infiniment plus boursouflé que je ne le suis quoi que vous disiez. Elle est sentencieuse et vise à chaque mot à être blessante, mais comme elle manque essentiellement de vérité elle n’est que prétentieuse et je ne puis m’en formaliser.

Je ne donne pas de conseil à personne, avec moi chacun s’arrange comme il l’entend pourvu que cette manière d’être n’entrave pas ma liberté. Le gouvernement n’achète pas tant d’hommes qu’on le dit. Je n’approfondirai pas cette idée qui m’émotionne !

[…] Mon cher ami, j’espère que vous regretterez une lettre aussi légère. Je vous parle sans aigreur, non seulement comme un ami, mais encore comme un parent. Je vous aimerai toujours malgré tout parce que je connais votre nature.

 

     Malgré cette dernière phrase aimable, à partir de ce jour, la brouille entre les deux hommes sera définitive.

 

 

 

Lettre à Max Buchon – Paris, août 1863

 

     Le philosophe Pierre-Joseph Proudhon écrivit « Du principe de l’art et de sa destination sociale ». Il ne sera publié qu’en 1865, après sa mort survenue la même année. Pour cela, il demanda à Courbet de lui donner quelques idées sur son art.

 

Proudhon entreprend de résumer l’art de ce temps-ci, résumé que je lui ai suggéré. Il avait pensé, ignorant (ou à peu près) de cette matière, s’en tirer en quelques pages. Voici ce qu’il m’écrit :

« Vous m’écrivez que je vous ai fait peur lorsque je vous ai écrit que je pensais me débarrasser de cette bluette en deux ou trois jours. Vous aviez parfaitement raison. En deux ou trois jours j’aurais pu écrire 10 à 12 pages, sans signification et sans portée. Au lieu de cela voilà près de trois semaines que je suis à la besogne et je suis bien loin d’avoir fini. Mon travail formera un petit traité de 160 pages au moins, dont j’espère que le public se contentera, si ce n’est pas très brillant comme c’est assez l’habitude dans ces sortes d’ouvrages sur l’art, au moins ce sera fortement raisonné et je ne crois pas qu’on essaye d’y répondre sérieusement. »

Nous allons enfin avoir un traité de l’art moderne arrêté, et la voie indiquée par moi correspond à la philosophie proudhonienne. Jamais je n’ai tant écrit de ma vie. Si tu me voyais c’est à crever de rire, je suis noyé dans les paperasses. J’écris à Proudhon chaque jour mes 8 ou 10 pages d’esthétique sur l’art qui se fait et l’art que j’ai fait, et que je veux établir.

 

     En réalité, Proudhon se plaignit à Max Buchon des notes de Courbet. Il lui disait que ces lettres de huit pages, écrites avec la manière personnelle de Courbet d’écrire et d’argumenter, le tuaient.

    J’ai lu une des ces longues notes du peintre envoyées à Proudhon. Elles sont constituées d’aphorismes sur l’art, la morale et la politique et m’ont paru plutôt ennuyeuses. Néanmoins, il semble que le philosophe lisait les lettres du peintre attentivement car certains de ses aphorismes ont été utilisés dans son essai.

 

 

Lettre à Alfred Verwée (peintre belge) – Ornans, août 1864

 

[…] Vous me demandez un tableau sérieux, je n’ai jamais rien fait, je crois, de comparable au tableau des femmes que j’ai fait cette année.

Je vous assure qu’il n’y a aucune indécence.

[…] Si votre vertu s’effarouche, il vous sera loisible de le mettre dans une salle à part, pourtant avec discrétion pour ne pas encourager le blâme incompréhensible qu’on a voulu donner à ce tableau. Le sujet est Vénus poursuivant Psyché de sa jalousie.

Il faut absolument que vous voyiez, dans votre pays où l’on aime encore la peinture, ce tableau que je préfère à ce que j’ai fait. C’est deux femmes nues, grandes comme nature, l’une dormant, l’autre venant la voir dans sa jalousie. Celle qui dort est blonde, et celle qui la regarde pendant son sommeil est brune, elles ont des draperies qui cachent toutes nudités. Il n’y a pas un seul tableau de la tradition qui soit si peu indécent que ce tableau.

 

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Photo du tableau détruit de Gustave Courbet « Vénus et Psyché, 1864 »

 

        Ce thème de deux disciples de Sapho était cher à la littérature du 19e, de Balzac à Gauthier et Baudelaire.

     Cette « Vénus et Psyché » (détruite à Berlin au cours des bombardements de la seconde guerre mondiale) est la deuxième toile de Courbet, après « Le retour de la conférence », à être refusé au Salon pour inconvenance, immoralité. 

 

 

 

Commentaires

  • Pas tristes, les termes choisis par Courbet dans sa lettre à Léontine !!
    Même assez indélicats, après des "relations intimes" ...

    Mais bon, ce sera sur d'autres points, plus historiques, que j'attends de toi ce matin quelques explications supplémentaires.

    1. Pourrais-tu préciser ta légende : "Reproduction du tableau détruit de Gustave Courbet "Le retour de la conférence" ?
    Reproduit par qui ? Et détruit par qui ? (A Berlin aussi ?)


    2. "Vénus et Psyché" : pourquoi cette toile était-elle à Berlin à ce moment-là ?

  • Pour les questions que tu me poses, la documentation est assez floue. J’indique les renseignements que je possède :
    - Pour « Le retour de la conférence », l’œuvre fut refusée au Salon de 1863. Elle aurait été vendue après la mort de Courbet à un acquéreur qui l’aurait achetée, indigné par le sujet, pour pouvoir la détruire. Il semble qu’il a effectivement réalisé ce projet. La reproduction du tableau, on ne sait par qui, pourrait être une esquisse du peintre. Elle serait à Bâle au Kunstmuseum. Pas très clair…
    - Vénus et Psyché fut également refusée au Salon de 1864. Une photo fut faite à la même date. L’œuvre aurait appartenu au collectionneur Otto Gerstenberg. Après sa mort en 1935, sa fille aurait déposé les grandes toiles dans un entrepôt à Kreuzberg près de Berlin. Ces toiles auraient brulé lors d’un bombardement allié sur Berlin à la fin de la guerre.

  • Cela ne me gêne pas, Richard, j’aime ça. Nos connaissances s’additionnent car moi aussi, lorsque je fais des recherches, j’apprends quelque chose de nouveau.
    Courbet semble avoir des problèmes avec les femmes et cette Léontine Renaude l'a bien fait marché. Et encore je n'ai donné qu'une partie de la lettre... Elle quitta Courbet un soir et partit avec le frère du photographe Nadar.
    Je ne suis pas arrivé à publier ma note sur Facebook comme d’habitude. J’en ai demandé la raison à Hautetfort, j’attends.

  • La référence à Ingres semble en effet évidente.
    Rien d'étonnant à ce que Ingres n'ait pu comprendre ce jeune contemporain. Mais il avait au moins su repérer son talent.

  • Lorsque j’ai vu « La Source », j’ai tout de suite pensé à Ingres et ses « Grande Odalisque » et « Grande baigneuse » qui captivent les visiteurs du Louvre par leur érotisme « soft » et la délicatesse du traitement des corps.
    Je pense que Courbet devait connaître l’opinion d ‘Ingres à son sujet et a voulu lui démontrer que ses nus pouvaient avoir la même classe.

  • Bonjour,
    Il me semble qu'il y a une confusion entre deux versions du même tableau, "Vénus et Psyché". Celui que vous mettez en illustration n'est pas le tableau refusé au Salon 1864, qui est exposé à Bruxelles la même année (Fernier 1977 no 370), mais une réplique avec un perroquet. Sa localisation est inconnue ?

  • Il semble que vous ayez raison. Il existe deux versions de ce tableau dont l'une, exposée à Bruxelles en 1864, est disparue. L'autre photographiée en 1864 fut vendue en 1913 en Allemagne et détruite par un bombardement durant la guerre.
    Merci de votre votre visite.

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